ll n’est pas aisé de garder sa ligne en temps de riches repas de fin d’année, ni parfois de garder son sang froid – même autour d’une bonne fondue, chinoise ou pas. Une réalisatrice-autrice qui a su garder le cap et laisse dans son sillage quelques classiques du cinéma Suisse de ces dernières décennies est sans aucun doute, Ursula Meier : Bruxelloise d’adoption, jurassienne franco-suisse de famille et depuis ses films «L’enfant d’en haut» et maintenant «La ligne», c’est le Valais, plus précisément le Bouveret et la région de Monthey qui sont terre d’accueil, lieux de tournage.
Ursula Meier est pour moi autant Suisse que son nom qui pourrait tout aussi bien être celui d’une personne d’origine suisse-alémanique mais c’est en français que Meier s’exprime, pense et réalise. Elle dit souvent que la Suisse est mieux vue de l’étranger et c’est vrai qu’à travers le prisme d’Ursula, la Suisse devient un kaléidoscope de réalités familiales européennes, dans des films portés par une équipe d’acteurs de renom, à commencer par Isabelle Huppert, Olivier Gourmet et Kacey Mottet-Klein dans «Home», rejoint pour «L’enfant d’en haut» par Léa Seydoux dans le rôle de la sœur-mère et maintenant Valeria Bruni-Tedeschi, Benjamin Biolay et la jeune Lausannoise Elli Spagnolo.

Spagnolo est touchante dans le rôle de la très croyante adolescente Marion dont la très violente sœur Margaret (Stéphanie Blanchoud) en vient aux mains lors d’un réveillon de Noël avec sa mère Christina –une Bruni-Tedeschi plus folle que jamais – et doit dorénavant respecter une mesure d’éloignement de 100 mètres du domicile familial. Justice est faite? C’est sans dire les complications et non-dits qu’une distanciation engendre durant les semaines suivantes : d’abord le fait que Christina a partiellement perdu l’ouïe depuis l’attaque de sa fille, ensuite qu’elle a vendu le piano qui lui a permis de nourrir ses trois filles – Margaret, Louise et Marion – et bien sûr sa nouvelle amourette avec un craquant jeune homme, Hervé (Dali Benssalah).
Mais remontons le fil d’ariane jusqu’au film qui a propulsé Meier sous les feux des projecteurs de Cannes et Berlin en 2008, soit « Home ». C’était – si ma mémoire est bonne – l’histoire d’une famille envahie par la soudaine construction d’une autoroute devant chez elle et le repli à l’intérieur de la maison jusqu’à que la folie s’empare de la mère (Huppert) et qu’elle décide d’y emmurer les siens – pas un film pour les claustrophobes! « L’enfant d’en haut » racontait l’histoire d’un jeune garçon du Bas-Valais, voleur de skis dans les stations de haute montagne, issu d’une filiation non assumée et cachée. Dans «La ligne» c’est la violence domestique d’une fille envers sa mère, la violence d’une femme qui est l’élément déclencheur d’un éloignement, visualisé par une ligne bleue que Marion va peindre en cercle autour de la maison.
Et c’est cette action métaphorique, le fait de peindre une ligne, de marquer une distance de sécurité, surtout psychologique, entre une mère et sa fille qui fait le charme du film. A l’aide d’une corde de 100 mètres, Marion trace la ligne et Margaret qui lui demande ce qu’elle est en train de faire est folle de rage lorsqu’elle apprend que c’est sa mère qui tient l’autre bout de la corde dans la main.
Une année s’écoule. Noël est de nouveau devant la porte, et c’est Margaret faisant des signaux lumineux depuis le haut d’un immeuble et demandant une trêve à sa mère qui à nouveau est tenue responsable de trouble fête. Alors qu’en fait la nouvelle composition familiale et l’exhibitionnisme amoureux de Christina et Hervé crée un malaise. Louise (India Hair) qui ose confronter sa mère et dire stop, Maman, tu dépasses les bornes, tu franchis une ligne à ne pas franchir.
Lorsque enfin le moment est venu d’effacer la ligne et avec cette action le film, l’illusion d’un univers familial en bordure d’agglomération profondément Suisse s’évapore comme un mirage. Me vient en tête la chanson de Charles Aznavour «Viens voir les comédiens, voir les musiciens, voir les magiciens qui arrivent…» et repartent à Paris, Bruxelles, Lausanne etc. pour laisser le Bas-Valais à sa morosité ambiante et aux visiteurs de ces nombreux parcs d’attraction: Vapeur-Parc, Aquaparc, Labyrinth Aventure et maintenant Alaïa Bay, le paradis des surfers! Ah décidément, cette vallée du Rhone en n’aura pas fini de nous étonner et pourrait bien devenir le nouveau “Hélvétiewood”, qui sait.
