Pour le documentaire «A vendredi Robinson» la réalisatrice iranienne Mitra Farahani tente une correspondance par mail entre Ebrahim Golestan, figure essentielle de la culture iranienne, et Jean-Luc Godard, cinéaste légendaire résidant à Rolle. Cette correspondance filmée – ou non-correspondance – entre deux hommes âgés et souvent malades est touchante et une chose est sûr, le cinéma n’est pas mort avec Godard. Il vit à travers les générations, se nourrit du passé pour mieux comprendre le présent, avance en reculant, rembobine ou accélère le temps qui est toujours compté.
Ce documentaire très poétique, tourné entre le château anglais où vit Ebrahim Golestan tel le Shah d’Iran avec sa femme et le logement plutôt modeste de Godard sur les rives du Lac Léman vaut la peine d’être vu. Produit par Arte France et financé entre autre par des fonds Suisse ou comme Godard dit joliment : “Il y a l’art et les gens, l’argent…”, ce documentaire marque un tournant, un changement d’époque car Godard n’est plu. Pour les jeunes d’aujourd’hui, à part qu’ils soient Godardiens et connaissent toute son oeuvre, il est difficile de comprendre ce que signifie le décès du Dieu des cinéastes français – bien qu’il ait été franco-suisse, c’est en France qu’il a connu ses plus grands succès.
L’héritage de Godard ne se résume pas à ses années Nouvelle Vague: «A bout de souffle» (F 1960) ou «Pierrot le fou» (F 1965). En regardant «A vendredi Robinson» (France, Suisse, Liban, Iran | 2022 | 96 min) on comprend à quel point Godard maîtrisait le langage, la langue française surtout. Ses mails à Golestan regorgent de jeux de mots et il envoie des images drôles de lui faisant croire à son interlocuteur iranien qu’il est fou. Golestan plus sérieux et en grand seigneur dans son chateau prend la vie et ses catastrophes avec beaucoup de philosophie. Il trouve lâche l’idée du suicide, de mort volontaire, auquel Godard aura finalement recours.
Accompagné par la musique de Beethoven, de citations d’auteurs variés, comme Heine, Bazin etc. ce film est riche en références littéraires et artistiqueS. Peut-être que Xavier Dolan, cinéaste québécois qui se fiche le plus de Godard – du moins à en croire une remise de prix à Cannes il y a quelques années – devrait voir ce documentaire pour au moins essayer de comprendre l’homme derrière l’oeuvre qui s’y dévoile dans son plus simple appareil, presque sans artifice.