«La sociedad de la nieve» vs. «Para no Olvidar»

D’un côté « La sociedad de la nieve » qui fait un carton sur Netflix. Un film de fiction basé sur un fait divers. Son style? Hyper lisse. Son sujet? Morbide, lugubre, médiatique : le crash d’un avion uruguayen dans les Andes et le combat de 17 survivants.

De l’autre « Para no olvidar » – un documentaire de Laura Gabay réalisé à partir d’archives familiales. Un film d’autrice qui raconte la vie d’une famille juive séfarade contrainte de fuir la Turquie pour aller vivre en Uruguay.

Où sont passés les théories du “tercer cine“, ces idées des pères fondateurs Fernando Solanas et Octavio Getino. Par exemple l’idée d’un propre langage cinématographique, d’une identité propre au cinéma d’Amérique latine. Il faudrait relire ces textes si l’on veut comprendre comment ces précurseurs pensaient l’avenir du cinéma et surtout une alternative au film européens ou américains…

L’action de« La sociedad de la nieve » se déroule dans les années 1960–70 et la mise en scène de Juan Antonio Bayona n’a rien à voir avec ce que Getino, Solanas et d’autres auteurs-théoriciens avaient en tête pour se distinguer du premier et deuxième monde… Il correspond tout à fait aux “contenus” proposés sur Netflix. Construit de manière à vous tenir en haleine, le suspense de « La sociedad de la nieve » tient à la question primordial : vont-ils être sauvés? Comment vont-ils survivre sans provisions et peu d’équipement pour affronter le froid, le soleil et l’immensité des Andes. Entre les scènes choquantes, le crash de l’avion, la décision que prennent les survivants de manger les cadavres de celles et ceux décédés dans des conditions atroces. Difficile à dire ce qui distingue « La sociedad de la nieve » d’une production hollywoodienne.

« Para no olvidar » se situe à l’autre bout du spectre. Laura Gabay a une approche expérimentale. Elle combine du found footage – les enregistrements vidéo de la famille et d’autres enregistrement audio de sa mère. Ce found footage contraste avec une voix off triste, endeuillée et il y a un certain décalage entre l’image et ce qui est raconté par la voix off dans ce film. A l’image des scènes familiales : un homme, une femme et leur petite fille sur un bateau. Ils sont tout endimanché et semblent passé du bon temps. Il est toujours nu, elle semble plus pudique. Gabay raconte l’histoire de sa famille, la mort de son père, la force de sa mère à laquelle la réalisatrice a dédié ce film. Cette mère toujours souriante sur les images est préoccupée par la santé vacillante de son époux et elle le lui dit sur une bande enregistrée et intégrée dans le film. Sans vouloir ni pouvoir tout comprendre de cette histoire intime, on salue le travail de collage de la réalisatrice. Dommage qu’elle n’est pas pu être à Soleure lors de la projection pour nous en dire plus. Gabay a étudié à l’Escuela Internacional de Cine y Televisió (EICTV) sur l’île de Cuba (où l’on voit actuellement les gens faire la queue devant les pharmacies…) et à la HEAD de Genève, ville où elle est née en 1987.

Pour clore j’aimerais juste préciser que je ne suis jamais allé en Uruguay. L’image que m’en ont donné ces films est teintée de nostalgie. Dans les deux films la mode correspond tout à fait au style des années 1970–80. Dans « Para no olvidar » j’ai adoré le montage d’une séquence de plans sur lesquels des passants et passantes mangent des glaces dans la rue. Une légèreté trompeuse car l’économie est détruite, l’inflation fait rage et les gens font la queue pour manger. Dans « La sociedad de la nieve » qui à pour point de départ et de chute Montevideo l’accent porteño est bien reconnaissable et me rappelle Buenos Aires que j’ai visité il y a une quinzaine d’années. Cette ville où l’on prononce llamar (appeler en français) “shamar” et où on se croirait presque en Europe sauf que tout est plus grand là-bas, moins vieux continent, plus colonial. L’Espagne n’y a plus de vice-roi mais toujours des liens néocolonialistes très forts.

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